Entreprendre dans l'hygiène féminine / Théo Kack Kack
- Tim Deguette
- 30 sept. 2024
- 23 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 oct. 2024
Bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast L'Entre-Prise, où nous mettons en lumière les parcours de jeunes entrepreneurs. Aujourd'hui, nous avons l'honneur d'accueillir Théo, un jeune entrepreneur de 19 ans qui a fondé Lubia, une entreprise innovante dédiée à l'intimité féminine, avec pour objectif de rendre les protections périodiques plus saines et écologiques.
Théo nous raconte comment, dès son plus jeune âge, il s’est intéressé à l’entrepreneuriat et comment un simple incident personnel avec sa copine l’a conduit à réfléchir à une solution pour les tampons et applicateurs jetables dans les toilettes. Ce projet a évolué au fil du temps, en intégrant une mission plus vaste visant à lutter contre la précarité menstruelle et à réduire l'impact écologique des protections hygiéniques.
Au cours de l'épisode, Théo partage les défis qu'il a rencontrés en jonglant entre ses études en économie et la gestion d'une entreprise en pleine expansion. Il revient sur l’importance de son environnement familial dans sa capacité à prendre des risques et à surmonter les obstacles. Théo souligne aussi l'importance de se tromper pour mieux apprendre, expliquant comment il tire des leçons de chaque erreur pour continuer à grandir.
Théo dévoile également ses ambitions pour les années à venir, avec des projets allant du développement d'un applicateur de tampon biodégradable à la création d'une usine de production en France. Il partage sa vision à long terme pour Lubia et son désir de toucher un demi-million de femmes à travers le monde avec ses produits écologiques et innovants.
Cet épisode met en lumière la détermination et la passion d’un jeune entrepreneur qui souhaite transformer un domaine souvent négligé en un secteur plus responsable et inclusif. Un témoignage inspirant pour tous les jeunes désireux de faire bouger les lignes dans l'entrepreneuriat social et écologique.
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Manon : Quand on est une femme, on se soucie toujours de l'origine de nos protections hygiéniques et de ce que l'on met réellement au contact de notre corps. Il y a quelques mois, j'ai fait une rencontre assez surprenante dans ce domaine, avec toi, Théo. Du coup, Théo, je te laisse te présenter.
Théo : Je m'appelle Théo, j'ai 19 ans, je suis étudiant, mais j'ai aussi créé mon entreprise à côté pour réaliser mon rêve : promouvoir une intimité féminine saine et écologique. Mon objectif est d'améliorer des produits essentiels, qui, jusqu'à aujourd'hui, manquent cruellement d'innovation.
Manon : Super projet, Théo ! Pour commencer, je te propose un petit jeu, quelques questions "du Tac au Tac" qui concernent ton entreprise.
D'abord, es-tu plutôt école ou startup ?
Théo : Aucun des deux, mais si je devais choisir, je serais plus proche de la startup. Cela dit, il y a des aspects que je n'aime pas dans les deux.
Manon : Plutôt autodidacte ou mentorat ?
Théo : Un peu des deux. L'autodidacte, c'est super important parce qu'il faut être ultra débrouillard. Mais être mentoré, c'est également très intéressant, surtout à notre âge, car on peut profiter de l'expérience des autres.
Manon : Solopreneur ou co-fondateur ?
Théo : Je suis solopreneur, mais être co-fondateur, c'est génial aussi. Ça apporte des défis, mais c'est très enrichissant.
Manon : Parlons de Lubia, vous êtes plutôt service ou produit ?
Théo : En réalité, même si ça me déplaît de l'avouer, on est une entreprise de service. On est presque une agence.
Manon : B2B ou B2C ?
Théo : B2B, sans hésitation. Le B2C, c'est vraiment compliqué, les clients sont souvent plus difficiles à gérer. En B2B, tu convaincs une personne et tu peux signer des contrats plus importants. Il y a plus de confiance et de relations à long terme.
Manon : Parlons maintenant de vision, expansion locale ou internationale ?
Théo : Internationale. Je pense qu'on doit toucher les humains partout, sans se limiter, tout en produisant localement. J'ai une stratégie pour travailler le local à l'international que je vous expliquerai plus tard.
Manon : Business model récurrent ou one-shot ?
Théo : Récurrent, sans hésiter. Le récurrent, c'est tellement apaisant ! On dort beaucoup mieux en B2B, avec des contrats signés sur une année, on sait qu'on peut déjà anticiper pour l'année suivante. C'est vraiment agréable.
Manon : Et pour finir, argent ou mission ?
Théo : Sans hésitation, mission. Si tu poursuis ta mission, l'argent suivra naturellement.
Manon : D'accord, merci beaucoup !
Manon : Maintenant que tu nous as donné un aperçu, peux-tu nous en dire plus sur Lubia ? D'où vient cette idée, et qu'est-ce que vous vendez exactement ?
Théo : L'histoire est un peu longue, mais je vais essayer de la résumer. Mon rêve, c'est de promouvoir une intimité féminine saine et écologique. Tout a commencé il y a deux ans, quand je suis parti en vacances avec ma copine. Un jour, nous étions à la piscine, et elle avait ses règles. Elle a utilisé un tampon, et m'a demandé de jeter l'applicateur. Je l'ai mis dans ma poche, puis, une semaine plus tard, en retournant en cours, je suis tombé dessus et je me suis dit : "Ce serait tellement pratique de pouvoir le jeter directement dans les toilettes."
Pendant deux ans, nous avons fait de la R&D pour créer des applicateurs de tampons qui pourraient être jetés dans les toilettes. En chemin, nous avons découvert d'autres problématiques comme la précarité menstruelle : en France, il y a près de 4 millions de femmes touchées, selon l'association Règles Élémentaires. Il y a aussi des enjeux écologiques, car aujourd'hui les applicateurs sont en plastique ou en carton, souvent blanchis au chlore et remplis de produits chimiques... C'est vraiment le bazar en termes de composition, et pourtant, c'est en contact direct avec le corps des femmes.
Et puis, il y a aussi des questions de santé. D'ailleurs, petite question pour toi : est-ce que tu sais s'il y a des réglementations sur les protections périodiques ?
Manon : J'imagine qu'il doit y en avoir, puisqu'il y a des réglementations sur tout, mais je dois avouer que je ne suis pas bien informée sur le sujet, alors que ça me concerne directement.
Théo : Eh bien, figure-toi qu'il n'y a aucune réglementation sur les protections périodiques. En gros, je pourrais prendre une serviette, y mettre de la terre et te la vendre sans que ça pose problème. C'est totalement fou, mais il n'y a aucune norme à respecter. Ce n'est ni un produit alimentaire, ni un produit médical, ni un produit d'hygiène.
Manon : Ce n'est pas considéré comme un produit médical ?
Théo : Non, pas du tout. Les entreprises peuvent littéralement faire ce qu'elles veulent avec ces produits. Il y a bien un premier décret, en vigueur depuis le 1er avril 2024, qui oblige les fabricants à indiquer les composants sur les paquets, mais ils ne sont pas tenus d'être exhaustifs. Pourquoi faire ? Mais pourquoi faire ?
Manon : Mais du coup, comment les entreprises peuvent-elles être transparentes avec les consommateurs ?
Théo : C’est vraiment une question d’honnêteté et de la profondeur de leurs recherches. Par exemple, nous, quand nous sommes allés visiter notre usine, on avait un cahier des charges très strict : on voulait s’assurer que tout soit en conformité et passer des tests de vérification. C’est pour cela que, quand on dit être certifiés bio, on doit prouver cette certification, envoyer les papiers et documents correspondants. Par exemple, pour un client que nous avons signé récemment, on lui a envoyé toutes ces informations, et cela l’a rassuré de savoir que ce que nous mettions en avant était conforme à ce que nous faisions réellement. Nous n’avons rien à cacher et voulons être transparents à 100 %. C’est essentiel pour établir la confiance.
Manon : C’est sûr, c’est tout à ton avantage ! Du coup, Lubia, c’est un service, mais concrètement, que vendez-vous exactement ?
Théo : Aujourd’hui, nous proposons aux entreprises et aux établissements scolaires des distributeurs de protections périodiques en libre-service. L'objectif est de réduire le stress au travail, d'améliorer la productivité et de combattre la précarité menstruelle. Et nous ne mettons à disposition que des protections périodiques en coton 100% bio, sans blanchiment au chlore, sans plastique ni produits chimiques. Nous voulons avoir l'impact écologique le plus faible possible, c’est pourquoi nous produisons le plus localement possible. Nos distributeurs sont fabriqués à Rennes. Nous avons même des collaborations à Lille avec un artisan (Savior). Produire localement fait vraiment partie de notre mission. Nos protections périodiques sont fabriquées à Barcelone.
Nous nous engageons à réinvestir nos bénéfices dans la recherche et le développement pour des produits encore plus écologiques, comme ce fameux applicateur de tampon que nous aimerions rendre jetable dans les toilettes.
Manon : Donc tout a commencé avec tes vacances avec ta copine, c'est incroyable !
Théo : Oui, tout est parti de ces vacances.
Manon : C’est fou de penser qu’une entreprise peut naître d’une idée venue en vacances, d’un simple problème rencontré au quotidien. Et pourquoi le nom "Lubia" ? Que signifie-t-il ?
Théo : C’est vrai que c’est une histoire assez particulière. En arabe, si je ne me trompe pas, "Lubia" signifie "haricot". Maintenant, quand on tape "Lubia" sur Internet, on trouve des images de haricots ! Je n'avais pas fait exprès, bien sûr. À l’origine, on voulait appeler l’entreprise "Vulva", mais on n’a pas pu déposer le nom car une entreprise nommée "Vulvae" avait déjà déposé le terme. Ils fabriquaient des tampons, mais ils ont fermé depuis.
Finalement, j’ai cherché d’autres noms, et "Labia" en latin fait référence aux lèvres de la vulve. Nous avons pris le "U" de "Vulva" et l'avons combiné avec "Labia", ce qui a donné "Lubia". C’est une anecdote amusante, et maintenant, c’est devenu une marque à part entière. Quand je l’ai déposée, je ne savais pas que ça voulait dire "haricot", mais c’est plutôt marrant comme coïncidence.
Manon : Oui, c'est une super anecdote !
Théo : J’imagine les gens cherchant des recettes de haricots et tombant sur des protections périodiques ! Peut-être qu’un jour, ça nous amènera des clients, qui sait ?
Manon : Maintenant, il y a une question que beaucoup de personnes doivent se poser : qu’est-ce que ça fait d’être un homme dans l’industrie de l’hygiène féminine ? C’est assez rare de voir des hommes s’emparer de ces sujets.
Théo : C’est une question délicate, et on me l’a souvent posée. Certaines personnes m’ont même dit que je n’avais rien à faire là, que ce n’était pas ma place, que je ne comprenais rien au sujet. Une fois, on m’a accusé de vouloir faire de l’argent sur le dos des femmes. Mais pour moi, la légitimité, je l’ai cherchée en discutant avec des professionnels de la santé, comme des gynécologues et des sages-femmes, et en faisant des recherches approfondies. J’ai passé beaucoup de temps à lire des documents de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) sur les protections périodiques. Il y a environ 150 pages de PDF sur le sujet, et c’est là que j’ai compris à quel point il manquait de réglementation.
J’ai aussi appris énormément de choses sur des sujets comme le SOPK (syndrome des ovaires polykystiques), l’endométriose, les différents flux menstruels, les cycles... Je ne voulais pas être juste "un mec qui parle de ça". Aujourd'hui, je maîtrise mon sujet, et ça m’arrive de moins en moins qu’on me remette en question. Au contraire, c’est souvent vu de manière positive que j’aborde ces sujets sans tabou. J’arrive à normaliser la conversation, même avec des personnes qui ne connaissent pas grand-chose aux protections périodiques.
Manon : Comment tes proches ont-ils réagi à cette annonce ? Est-ce qu’ils étaient étonnés ou, au contraire, ça leur a semblé évident que Théo allait travailler sur un projet pour les femmes ?
Théo : En fait, j’ai toujours fait plein de trucs. Avant, j’étais en sport-études, gardien de but au Stade de Reims, et j’ai toujours eu mille projets. Je suis aussi le deuxième enfant de la famille, donc j’étais un peu celui qui faisait des choses inattendues, qui bougeait partout. Je faisais du dessin, de la peinture, du piano... Bref, j’ai toujours été très actif. Et puis, j’ai une sorte de fibre entrepreneuriale depuis tout petit. En maternelle, je fabriquais des bâtons en bois que j’essayais de vendre devant la boulangerie de mon village. J’en ai vendu un seul, et c’était à ma mère ! Mais ça m’a toujours fasciné de vendre quelque chose, d’essayer de créer du commerce.
Pour moi, quand il y a un problème, il faut trouver une solution. Les protections hygiéniques, c’est un besoin essentiel, et il n’y a pas assez de solutions adaptées. Chaque femme a des menstruations différentes, des besoins différents, donc il faut pouvoir proposer quelque chose de qualitatif et générique à la fois. Mes proches ne se sont pas dit : "Oh, Théo travaille pour les femmes, c’est étrange." Ils se sont plutôt dit : "Bon, encore une idée, il va la mener à bien." Ça ne les a pas vraiment surpris.
Manon : Et du coup, penses-tu faire cela toute ta vie, ou envisages-tu de t’investir dans d’autres projets ? Peut-être des initiatives pour les hommes, par exemple ?
Théo : C’est vrai que le sujet a beaucoup évolué pour moi. Au début, je pensais juste lancer le projet puis lâcher un peu les rênes. Ce que j’adore, c’est l’émulation du départ, cette montée d’adrénaline, les hauts et les bas... C’est excitant. Mais plus j’avance, plus je m’attache à ce projet. Aujourd’hui, je veux vraiment construire quelque chose de grand, d’international, pour aider partout où c’est possible. À terme, mon objectif est de devenir producteur de protections périodiques, d’avoir une usine, d’innover sur le long terme. Cela prendra peut-être 5, 10, 20 ans, mais je veux continuer à développer ça.
Cela dit, j’ai aussi plein d’autres idées à côté. Peut-être que, lorsque l’équipe sera bien en place et que j’aurai moins de tâches opérationnelles, je pourrai dégager du temps pour d’autres projets. Par exemple, reprendre une entreprise en difficulté pour essayer de la sauver et préserver des emplois, ou encore industrialiser d’autres secteurs. J’ai tellement d’idées !
C’est marrant, d’ailleurs, parce que récemment, avec notre stagiaire en informatique, il est venu me parler d’une idée qui correspondait à quelque chose que j’avais noté dans mon carnet il y a quelque temps. Du coup, je ne sais pas si on va la développer, mais ça montre qu’on a une vraie synergie dans l’équipe.
Manon : C’est génial que tout le monde soit aussi aligné sur la vision du projet. Ça promet d’aller loin !
Théo : Oui, c’est vraiment chouette. Ce qui est surprenant, c’est qu’il y a plus d’hommes qui postulent pour rejoindre l’équipe que de femmes.
Manon : Ah bon ? Comment tu expliques ça ?
Théo : Aujourd’hui, on est 5 dans l’équipe : 4 hommes et 1 femme. Cet été, on va accueillir deux stagiaires, et ce seront deux hommes de plus, donc on sera 6 hommes et 1 femme. Ce n’est pas qu’on privilégie les hommes dans nos sélections, c’est juste que, souvent, ce sont eux qui prennent l’initiative de nous contacter. Peut-être que certaines femmes hésitent plus à postuler ou pensent qu’il y a moins d’opportunités dans ce secteur. Les hommes semblent plus à l’aise pour nous demander directement s’il y a des stages ou des opportunités.
Manon : C’est vrai, peut-être qu’ils se sentent plus à l’aise pour faire cette démarche.
Théo : Oui, c’est possible. Mais je suis content, car on a justement reçu une candidature d’une femme pour un stage cet été, et elle a l’air super ! Je la rencontre la semaine prochaine, donc je suis impatient.
J'espère vraiment que le fit se passera bien avec cette nouvelle recrue. Mais c'est vrai que, moi aussi, j'aimerais bien qu'on ne soit pas forcément paritaires, mais qu'on recrute uniquement en fonction des talents. L’idée serait de se baser uniquement sur les compétences. En ce moment, on ne recrute pas, mais une idée pourrait être de faire des CV anonymes. On pourrait demander aux candidats de retirer leur nom, prénom, et photo de leur CV, pour que les rendez-vous soient basés uniquement sur leurs compétences et leurs lettres de motivation. Cela permettrait d’éviter de sélectionner quelqu’un sur des critères inconscients, même sans le vouloir. Comme ça, on prendrait la personne qui a le meilleur CV, et si le feeling passe bien lors de l’entretien, on la recrute, peu importe son sexe, son âge, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle. Pour moi, tout ça n’a pas d’importance. Je veux la meilleure équipe.
Manon : Et comment tu as appris à manager une équipe ? Parce que, j’imagine qu’on n’apprend pas ça à l’école, surtout à 19 ans. Ce n’est pas inné pour tout le monde. À quel moment as-tu commencé à avoir des collaborateurs ? Comment ça se passe entre vous ?
Théo : Déjà, c’est marrant, parce que mes collaborateurs sont plus vieux que moi ! Ça ne durera pas forcément longtemps, mais ça me fait toujours rire. Je n’ai jamais vraiment appris à manager. La seule expérience qui s’en rapproche, c’est quand j’étais gardien de but au Stade de Reims. En tant que gardien, tu dois un peu manager la défense, donc il y a ce côté collectif et coordination qui m’a appris à travailler en équipe. Ce que j’aime, c’est laisser les gens exploiter leur potentiel. Je ne suis pas le meilleur, je n’ai que 19 ans, je ne suis pas expert en tout. Mais je me vois plus comme un bon coach avec la meilleure équipe, plutôt que comme le meilleur joueur de l’équipe.
Quand les gens rejoignent le projet, je leur dis : "Voilà la direction que j’aimerais qu’on prenne, mais comment toi tu vois le chemin pour y arriver ?". Je ne suis pas là pour imposer une méthode étape par étape. On cherche la solution ensemble. Si je recrute des gens, c’est parce que je pense qu’ils peuvent apporter des réponses aux questions que l’on se pose.
Manon : Oui, je comprends. Ce n’est pas forcément la manière traditionnelle de voir les choses en entreprise, surtout en France. Beaucoup d'entreprises ont encore un modèle très hiérarchisé et descendant. Quand des adultes créent des entreprises, c’est souvent très descendant. Mais nous, étant jeunes, on a envie d’un modèle plus collaboratif.
Théo : Après, je ne sais pas combien de temps ce modèle fonctionnera, ni comment il évoluera à l'avenir. Personnellement, je n’ai jamais travaillé dans une entreprise. J’ai fait un stage en troisième, mais ça ne m’a pas appris grand-chose sur le fonctionnement d’une boîte.
Du coup, j’ai envie de créer une entreprise dans laquelle je me sens bien et où les gens peuvent bien travailler et bien vivre. Pas forcément en instaurant la semaine de 4 jours, mais en créant un cadre de travail épanouissant.
Manon : Et comment tu fais, vu que tu n’as jamais eu d’expérience en entreprise ? Tu avances un peu en autodidacte ?
Théo : Oui, tu te trompes, tu fais des erreurs et tu recommences. On a déjà travaillé avec des collaborateurs freelances qui sont partis parce qu’il manquait un peu d’organisation. Ça manquait de structure, mais c’est comme ça qu’on apprend. Je suis conscient que je vais faire des erreurs, et je suis à l’aise avec ça. Parce que plus je fais d’erreurs, plus j’apprends. Donc, plus vite je me trompe, plus vite j’apprends et je grandis. C’est pareil pour l’équipe. Ils savent que j’ai 19 ans, ils ne sont pas surpris. Quand on fait une erreur, on la note, on apprend et on avance.
On apprend, on rectifie, et ensuite on avance. Il n’y a pas de problème avec ça. D’ailleurs, j’adore les gens qui font des erreurs, qui passent leur vie à faire des erreurs, car c’est, selon moi, le meilleur moyen de grandir et d’apprendre. Moi, j’apprends tous les jours, et je sais que je ne serai jamais parfait.
Manon : C’est marrant que tu dises ça, parce que récemment, je parlais avec mes amies. Elles ont plein d’idées de projets, mais elles n’osent pas se lancer. Elles ne savent pas comment faire, et je leur ai dit : "Commencez le plus tôt possible ! Il faut tomber pour apprendre à se relever." C’est ma devise. Plus vite on tombe, plus vite on apprend à se relever, et plus vite on peut atteindre nos objectifs.
Mais du coup, comment tu fais pour trouver des personnes dans ton équipe qui partagent la même vision que toi ? Parce que les gens qui ont cette vision sont souvent ceux qui vont entreprendre de leur côté. Comment fais-tu pour trouver des talents qui veulent rejoindre un projet déjà existant tout en ayant cet esprit entrepreneurial ?
Théo : En fait, on a beaucoup de profils très entrepreneuriaux dans l’équipe. Même nos commerciaux, il y en a un qui est en train de monter sa propre boîte à côté. Ce côté entrepreneurial est rapidement présent dans notre équipe. Je pense aussi que ça vient du fait qu’on est dans une start-up. La plupart des gens qui rejoignent ou travaillent dans des start-ups aiment ce milieu. Je dis souvent que travailler dans une start-up, c’est comme jouer à un jeu. Ça peut être problématique, mais j’ai vraiment cette sensation.
Quand on goûte à ce monde, il y a cette idée que c’est moins risqué de monter sa propre start-up. On apprend des choses, on prend des idées, et on peut se lancer plus sereinement. Il y a même un mouvement à Paris qui s’appelle "bras droit de CEO". C’est là que j’ai rencontré un de mes commerciaux. Ce sont des personnes qui travaillent aux côtés d’un entrepreneur pour apprendre le métier sur le terrain et qui, ensuite, lancent leur propre projet. Ça permet de minimiser les risques tout en se passionnant pour quelque chose qui nous plaît, comme l’entrepreneuriat et l’univers des start-ups. On peut être comblé sans nécessairement diriger son propre projet.
Comment je fais pour trouver des talents aujourd’hui ? Honnêtement, je pense que je suis l’un des hommes les plus chanceux du monde. Ma première collaboratrice, ma bras droit, Sarah, est absolument incroyable. Elle est passionnée par le projet et fait un travail de fou, sans attendre quoi que ce soit en retour. Je la remercie constamment pour ça. Je l’ai rencontrée en postant une annonce à sa fac. On était au lycée ensemble, et elle s’est souvenue de moi. On s’est dit : "Ce serait génial de bosser ensemble." Donc voilà, premier coup de chance !
Ensuite, il y a eu les gens qu’on a rencontrés en parlant du projet. Par exemple, un de nos commerciaux, que j’ai rencontré via le réseau "bras droit de CEO", est venu avec un ami à lui, et ils nous aident sur toute la stratégie commerciale et le développement. Ils travaillent sur des livres blancs pour former les prochains collaborateurs qui rejoindront Lubia. On met en place plein d’outils pour structurer l’entreprise. Encore une fois, c’est de la chance.
Puis, il y a aussi les gens qui nous contactent spontanément, souvent après avoir entendu parler de nous. Quand on fait des conférences, comme celle que j’ai donnée il y a deux jours à l’ISTC, des personnes viennent nous voir et postulent. J’ai aidé des étudiants en première année à mieux se préparer pour le marché de l’emploi, et cela nous a permis de recruter des stagiaires. Il y a un peu de chance dans tout ça, mais aussi beaucoup de tentatives.
Manon : Trop bien ! Et ça ne te fait pas peur d’avoir autant de profils entrepreneuriaux dans ton équipe ?
Tu ne crains pas que ces profils entrepreneuriaux finissent par quitter l’équipe, vu qu’ils pourraient voler de leurs propres ailes à un moment donné ? Cela te fait-il un peu peur de ne pas avoir des collaborateurs fidèles sur le long terme ?
Théo : C’est une excellente réflexion, et honnêtement, oui, ça me fait un peu peur. J’aime construire des choses sur le long terme. Ma boîte, c’est un peu comme une famille, même si on n’est pas dans un esprit trop fusionnel non plus, mais c’est important pour moi de me sentir bien avec les gens avec qui je travaille. J’aimerais pouvoir évoluer avec eux sur le long terme.
Cela dit, je sais qu’avec certains profils, comme ceux qui viennent pour une alternance ou un stage, il y a une date limite. Je l’accepte, et on fait en sorte de travailler ensemble et de grandir pendant ce temps-là. Mais même après leur départ, ils feront toujours partie de l’histoire. Je me souviendrai toujours des personnes qui étaient là au début. L’année dernière, quand on a créé l’entreprise, j’étais avec deux stagiaires femmes, Sarah et une autre, et même si elles sont restées peu de temps, elles ont eu un impact énorme. Elles font toujours partie de l’histoire de Lubia.
Idéalement, j’aimerais aussi recruter des profils qui ne sont pas forcément entrepreneurs, mais qui sont attirés par le dynamisme d’une start-up et qui ont envie de s’investir sur le long terme. Ceux qui veulent apprendre, monter en compétences, et rester avec nous à plus long terme. En septembre, on va commencer à recruter pour des alternances commerciales, et j’espère vraiment trouver des personnes avec qui construire quelque chose de solide et durable. J’aurais adoré proposer un CDI à Sarah, mais elle continue ses études pour faire un master, ce qui est totalement normal. Mais elle fera toujours partie de l’équipe, comme tous ceux qui sont passés par Lubia.
Manon : C’est vrai que gérer une équipe composée essentiellement de jeunes étudiants peut aussi être un défi, car ils ont des études à finir, et toi aussi, tu as sûrement une vie privée. Comment fais-tu pour gérer tout ça, avec une équipe qui pourrait compter 7 personnes cet été ?
Théo : J’avoue, c’est un sacré challenge ! Je suis en deuxième année de licence, donc je dois jongler entre les études et le travail. Mais j’ai beaucoup de chance. Déjà, Lubia commence à vraiment bien fonctionner. On est au bon endroit, au bon moment, et il y a une forte demande à laquelle on répond plutôt bien.
Concernant la gestion cet été, j’ai la chance de pouvoir faire mon stage dans ma propre entreprise, donc à partir du 1er mai, je serai à plein temps. Quand les stagiaires arriveront, je serai pleinement disponible pour gérer et encadrer tout le monde. En étant jeunes, on peut encore se permettre de faire des erreurs et d’apprendre en cours de route.
Côté vie privée, c’est vrai que c’est parfois compliqué. Je suis en couple, et ma copine fait beaucoup de sacrifices pour me soutenir, même si ça lui pèse parfois. Je fais des sacrifices aussi, mais c’est le jeu quand on a une entreprise à gérer. Elle plaisante souvent en disant que si elle avait su que l’applicateur de tampon mènerait à tout ça, elle ne me l’aurait jamais donné ce jour-là !
Quant à mes études, je suis dans une licence d’économie avec une prépa pour les grandes écoles de commerce. J’ai toujours eu cette ambition de faire des grandes études, et ma fac me permet de ne plus suivre tous les cours de licence, mais de me concentrer sur la prépa et les examens. En plus, j’ai reçu un message du responsable pédagogique qui me félicitait d’avoir été présent à plus de 70 % des DS, malgré mes nombreuses absences en cours. Je rattrape beaucoup à l’examen, et même si je ne suis pas toujours parmi les meilleurs, je m’en sors plutôt bien. Au premier semestre, par exemple, j’ai terminé 47e sur 140, ce qui n’est pas si mal.
Manon : C’est impressionnant, surtout avec tous tes projets en parallèle. Mais l’économie, tu ne t’en sers pas beaucoup dans ce que tu fais au quotidien ?
Théo : Non, pas vraiment. Je fais une licence en économie et finance, et plus on avance, plus ça s’oriente vers la finance de marché ou d’entreprise, ce qui n’est pas vraiment mon domaine. J’aurais dû faire une licence de gestion à la Catho, ça aurait été plus utile pour ce que je fais aujourd’hui. Mais bon, on fait avec, et ça me permet d’acquérir des connaissances qui me serviront peut-être plus tard. Après, ça me garde dans une dynamique mathématique, où je dois continuer à me poser des questions de manière logique. Donc c’est intéressant, mais concrètement, ma deuxième année de licence ne m’a pas vraiment servi dans ma boîte.
Manon : Ok, mais ce n’est pas grave. L’accompagnement autour de toi, l’incubateur, la bourse qu’ils t’ont donnée, le fait qu’ils soient maintenant tes clients, tout ça te donne beaucoup, non ?
Théo : Oui, carrément. Je leur dois énormément. Ils ont été de vrais facilitateurs de projet. Et honnêtement, je pense qu’il y a très peu d’écoles, voire aucune, qui auraient été aussi conciliantes que la mienne. Certaines semaines, comme celle-ci par exemple, je suis allé en cours seulement deux jours et une demi-après-midi... alors que je paye 12 000 euros par an.
Manon : Ah oui, ça fait réfléchir.
Théo : Oui, mais l’école est vraiment géniale. Je les apprécie beaucoup, et je pense que c’est réciproque. J’essaie toujours de garder de bonnes relations. Et du coup, ils sont maintenant nos clients, c’est même notre plus gros client aujourd’hui.
Manon : Trop bien ! Les 7 000 étudiants de la Catho, c’est énorme !
Théo : Oui, mais ça ne s’est pas fait juste parce qu’on était sympa avec eux. On a vraiment fait un gros travail pour améliorer leur système de distributeurs de protections périodiques, car il y avait des problèmes. 50 % des étudiantes que nous avons interrogées dans notre étude interne ne savaient même pas que ces distributeurs existaient. D'autres les trouvaient souvent vides quand elles en avaient besoin. Ça a été un vrai problème à résoudre. Alors, on a mis des distributeurs à chaque étage. Avant, il n’y en avait qu’au rez-de-chaussée, ce qui n’était pas pratique, surtout dans un bâtiment de cinq étages.
Manon : Ah oui, descendre cinq étages le matin pour aller chercher une protection, pas très pratique.
Théo : Exactement. Alors, on a mis des distributeurs à tous les étages, et on a ajouté des QR codes dessus. Maintenant, les étudiantes peuvent scanner le code et envoyer une alerte directement à l’équipe de maintenance pour qu’ils viennent recharger les distributeurs rapidement. Et en plus de ça, on a fait une vidéo de communication avec l’école qui sera diffusée sur leurs réseaux sociaux et dans leurs annonces pour informer les nouvelles étudiantes de l’existence des dispositifs.
Manon : C’est vraiment bien pensé. Et comment tu trouves de nouveaux clients ? Tu disais tout à l'heure en off que tu en avais signé plein récemment. Comment tu t’y prends ? Tu appelles directement les sièges sociaux ?
Théo : Au début, je faisais beaucoup de prospection par téléphone, mais aujourd’hui, je manque de temps pour ça. On a découvert que Google Ads marche très bien pour nous en ce moment. Vu la demande croissante dans notre secteur, on s’est dit que se positionner sur Google Ads pourrait nous apporter de bons retours. Et effectivement, pour chaque euro investi, on génère environ 70 euros de chiffre d'affaires estimé. C’est énorme !
Manon : Ah oui, c’est très rentable !
Théo : Oui, et ça nous amène des clients inattendus. Cette semaine, on a signé avec le groupe Mobivia (Norauto, Midas), qui nous a contactés via Google Ads. On a aussi signé avec des filiales de BNP Paribas sur deux sites : Boulogne-Billancourt et Le Mans. En plus de ça, on a signé l’ICAM Toulouse et l’Université de Reims.
Manon : Et ces derniers, ce n’était pas grâce à Google Ads ?
Théo : Non, ceux-là, c’était via des contacts directs, des gens qui ont entendu parler de nous. Et là, on est en discussions pour un partenariat national avec Heaptown. Je ne peux pas trop en dire pour le moment, mais Heaptown gère des espaces de coworking dans toute la France. On va pouvoir fournir tous leurs clients, et c’est avec eux qu’on a conçu un design spécifique de distributeurs en bois. On avance sur plein de projets. On a aussi installé des distributeurs dans un collège à Beauvais. On travaille sur plusieurs thématiques en parallèle. Parfois, on appelle directement, parfois on envoie des mails, et moi, je m’occupe des rendez-vous.
En ce moment, je fais beaucoup trop d’opérationnel, donc j’ai moins de temps pour ça. Maintenant, je me concentre surtout sur les deuxièmes rendez-vous ou ceux qui concernent des partenariats importants, là où il y a vraiment besoin d’avancer sur des points spécifiques.
Manon : Waouh, c’est génial, vraiment. Mais tu te rends compte que dans toute la France, il y a des gens qui vont aux toilettes et qui voient un distributeur Lubia ? C’est dingue, non ?
Théo : Parfois, je me dis : "Mais attends, là, en ce moment même, il y a peut-être des femmes qui utilisent nos protections hygiéniques." C’est fou quand on y pense. Ça me fait vraiment réaliser l’impact que ça a. C’est dingue de rationaliser tout ça et de se dire : "Waouh, c’est vraiment en train de se passer."
En fait, en ce moment même, il y a des gens qui utilisent nos distributeurs, logique, mais je n’y avais jamais vraiment réfléchi comme ça. Aujourd’hui, plus de 9 000 femmes en France ont accès à des protections hygiéniques grâce à nos distributeurs dans les lieux d’études, et c’est dingue ! Je reçois même des selfies d’amis de la Catho qui prennent des photos des distributeurs avec le logo Lubia, c’est trop drôle.
Manon : C’est incroyable ! Et toi, tu te vois où dans trois ans ? Personnellement ou avec Lubia ?
Théo : Bonne question ! Alors, moi personnellement, il y a deux scénarios possibles. Soit j’aurai eu le courage d’arrêter après ma licence et de ne pas faire de master, ce qui est un gros dilemme en ce moment. J’en parle beaucoup avec mes parents. Ou alors, je serai encore en études, essayant de jongler avec tout ça. Mais honnêtement, il devient de plus en plus difficile de tout concilier.
Quant à Lubia dans trois ans... Ce serait une folie si on pouvait être une équipe d’une dizaine de personnes, avec 500 000 bénéficiaires à travers le monde. Ce serait incroyable ! Je pense qu’on aura aussi lancé notre applicateur de tampon biodégradable, qui devrait être prêt d’ici là. Et pourquoi pas commencer à travailler sur la construction de notre propre usine. On a déjà été contactés pour savoir si on voulait un terrain de 90 000 ou 50 000 m², alors qu’on a à peine 5 000 euros sur le compte en banque ! Mais dans cinq à dix ans, j’espère qu’on aura démarré cette usine.
Manon : Wow, c’est un sacré plan ! On croise les doigts pour toi.
Théo : Merci ! On va tout faire pour que ça marche. De toute façon, je vois ça comme un jeu, je m’amuse vraiment.
Manon : C’est vrai que l’argent peut vite devenir abstrait quand on est dans le business.
Théo : Oui, totalement. Je suis déconnecté de la valeur de l’argent et surtout de la notion de risque. J’ai eu la chance de grandir dans une famille aisée, mes parents sont médecin et avocat. Je n’ai jamais manqué de rien, ce qui fait que je prends plus facilement des risques. C’est un avantage, parce que même si je perds tout, je sais que je pourrai rebondir. C’est quelque chose qui peut expliquer pourquoi il est plus facile pour certaines personnes de prendre des risques. Ce n’est pas un sujet dont on parle souvent, mais ça a sûrement un lien avec la reproduction sociale et les inégalités en France. C’est un sujet complexe et politique, mais c’est intéressant de s’y pencher.
Manon : Oui, tout à fait. Est-ce que tu as un dernier mot pour conclure le podcast ?
Théo : J’ai bien aimé qu’on parle de se lancer et de faire des erreurs. J’ai une petite phrase fétiche pour ça : dans la vie, il y a des hauts et des bas, mais il ne faut jamais oublier une chose : chaque mur n’est qu’une porte.
Manon : Wow, "chaque mur n’est qu’une porte".
Théo : Oui, c’est ma petite devise. Je l’avais sortie à la radio l’année dernière sans y réfléchir, et depuis, je l’ai adoptée. Chaque obstacle est en fait une opportunité, une nouvelle ouverture.
Manon : Je comprends, il faut se prendre des murs pour trouver les portes, en fait.
Théo : Exactement ! Chaque mur qu’on rencontre est juste une opportunité déguisée.
Manon : C’est bien vu ! Merci beaucoup, Théo, d’être passé sur le podcast. C’était passionnant d’entendre ton histoire et celle de Lubia. J’espère que ça inspirera plein de jeunes à entreprendre.
Théo : Merci à toi pour l’invitation, c’était un plaisir d’échanger. J’espère que ça apportera de la valeur à ceux qui écoutent.
On se retrouve très vite sur Instagram pour les réels et autres contenus. Merci à tous d’avoir écouté. Si vous nous écoutez en marchant, en courant, ou en cuisinant, bisous à vous, à vos familles, et à très vite si on se croise !
Manon : Oui, à très vite, merci !
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